Rhode au jour le jour

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Alle Mensen deugen (Rutger Bregman)

Zut de zut, j'avais commencé à écrire un bon article et le voilà qui a totalement disparu suite à une fausse manip, avant que j'aie pu le sauvegarder : il me faut donc reprendre à partir de zéro et je déteste ça !

 

Nous avons reçu ce livre en cadeau de Chantal et Gert-Jan, je ne pense pas que je l'aurais acheté de moi-même sinon. Et c'est une chance car j'ai beaucoup aimé le lire : je dis aimé le lire plutôt qu'aimé le livre lui-même parce que c'est l'expérience que j'ai appréciée : extrêmement rafraîchissante ! Ca fait incontestablement du bien par les temps qui courent de lire des propos qui vont tellement à contrecourant de la morosité ambiante. Il a fallu à l'auteur un sacré courage pour se lancer ce défi, et je dois dire qu'il le relève haut la main ! Le livre s'inscrit dans la même logique que celui de Yuval Noah Hariri (Homo Sapiens) et que celui de Jared Diamond (Guns, Germs and Steel) : les deux écrivains sont abondemment cités.

 

Savoir si je suis convaincue par sa démonstration est une autre affaire : j'ai plusieurs objections que je détaillerai plus bas. Le livre remet en place de nombreuses idées auxquelles nous sommes habitués depuis lontemps (comme sur l'Ile de Pâques par exemple, mais il y en a quantité d'autres). C'est excellent pour les neurones ce "chamboule-tout" !

Rutger Bregman a dû se livrer à un énorme travail de recherche et de vérification avant d'écrire son livre : en fait j'ai surligné dans l'index toutes les sources que j 'aimerais moi-même consulter, non pas que je ne le croie pas, mais pour avoir accès à la matière première ou aux opinions d'autres personnes. Ses enquêtes et ses interviews sur tout les continents (car il brasse large) ont l'air d'avoir été très sérieusement conduits et on voudrait plus que tout le croire sans réserve !

 

Le style un peu simpliste qu'on lui a reproché ne m'a pas trop gênée : ça le rend plutôt sympathique. Bien sûr le titre est prétentieux : une autre histoire de l'humanité. Rien que ça ! Et pourtant, s'il avait raison ? Quand on voit comment marche le monde de nos jours, on ne peut totalement écarter l'idée que nous faisons fausse route depuis quelque temps non ?

Mais depuis quand au juste ?

Rutger pense que nous avons pris la mauvaise direction quand l'homme a "inventé" l'agriculture, avec les conséquences que nous connaissons : propriété privée, oppression, labeur épuisant, maladies etc. Il ne parle jamais du fait que l'agriculture a permis d'assurer à l'humanité une certaine sécurité alimentaire. Et du fait que les excédents produits par les paysans ont permis à une "caste" de fonctionnaires, de prêtres et de gouvernants de ne plus être directement actifs, l'homme a pu créer des merveilles architecturales, que nos ancêtres chasseurs-cueilleurs n'auraient jamais eu les moyens de construire.

C'est peut-être l'objection fondamentale que l'on peut lui faire. De toutes façons, il est bien impossible aujourd'hui avec 7 milliards et quelques d'habitants sur la Terre de revenir à un autre mode d'existence plus "naturel".

 

Il s'en prend aussi aux philosophes des Lumières, qui seraient partis d'une conception pessimiste de la nature humaine (Hobbes contre Rousseau, qui est abondamment cité), avec en conséquence des institutions qui gouvernent le monde aujourd'hui qui se "trompent" : l'état de droit, le capitalisme, la démocratie comme nous la connaissons s'appuient tous sur cette idée que l'homme est fondamentalement mauvais, ou prompt à suivre ses mauvais instincts : la civilisation se doit de le garder dans le bon chemin.

La thèse de Rutger est celle-ci : et si nous nous trompions ? A l'appui de sa thèse il cite quantité d'expériences et d'études qui montrent que l'homme est à la base un être porté à aider son semblable. Rutger ne croit pas à la thèse du "vernis de la civilisation" en-dessous duquel dès qu'on grattte un peu réapparaît la vraie nature de l'homme : égoïste, violent.

Il va extrêmement loin dans ce sens puisque tout un chapître s'intitule "l'autre joue", comme dans le message de Jésus. Même s'il dit ne plus être croyant, son éducation de fils de dominee se ressent fortement dans de nombreuses pages.

 

L'exemple avec lequel il ouvre le livre ne m'a pas convaincue du tout : il y parle de la réponse des Britanniques au Blitz pendant la dernière guerre. Au lieu des scènes apocalyptiques qui avaient été prévues par le gouvernement, la population s'est admirablement conduite et a su continuer à vivre presque comme si de rien n'était. On peut admirer les Britanniques pour ça mais Rutger en déduit qu'il s'agit d'une caractéristique de notre espèce : s'entraider quand les circonstances sont difficiles.

A ceci je répondrais : c'est vrai que les Britanniques ont été admirables, mais il ne faut pas perdre de vue que l'état ne s'était pas effondré, les institutions fonctionnaient, il y avait un gouvernement aux commandes. Que se serait-il passé si tout avait cessé de fonctionner ? que peut-on tirer comme leçon des terribles guerres en ex-Yougoslavie, où on a vu du jour au lendemain des voisins qui vivaient en paix s'entretuer ?

 

Je ne peux m'empêcher de penser à ce roman que j'ai lu récemment (sur les conseils de Anne) et qui m'a tant impressionnée : "Lights Out". Il s'agit de fiction bien sûr, mais on y voit en une semaine le chaos le plus total s'installer en Grande-Bretagne : et là les gens ne réagissent pas du tout de la même façon. Quand on sait ne plus pouvoir compter sur la loi, la police, l'état, c'est chacun pour soi et la loi du plus fort.  Avec les situations de violence inouïe qui en découlent.

C'est un peu sans doute ce qu'on connu les populations de la Gaule et de l'Italie au moment de l'effondrement de l'empire romain d'occident : il n'y avait plus d'état, plus d'armée pour les protéger, des  territoires entiers abandonnés aux "barbares" qui n'avaient d'autre but que de piller et de massacrer.

Ruger parle bien sûr de cette époque, des Huns et des Vandales. Il aurait pu aussi parler de Gengis Khan. Mais il passe très vite en bagatellisant : pourtant pour les centaines de milliers de personnes voire les millions qui ont vécu dans l'insécurité la plus totale pendant des décennies, ce n'était pas qu'un détail... Personnellement c'est ce que je redoute le plus : un effondrement de la société, pour quelque raison que ce soit, et être livré à soi-même. Que deviendrions-nous alors ?

Comme à l'époque des invasions babarbares, il faudrait se replier sur des petites communautés locales et essayer de survivre en disant adieu au confort que l'on connaissait auparavant... C'est aussi ce que l'on voit dans nombre de films apocalyptiques, un genre que j'aime beaucoup, comme le Postman. Certains individus survivent certes, mais en étant livrés à l'arbitraire le plus complet. Cela me semble l'horreur.

 

J'ai aussi découvert dans le livre de Rutger une école d'un style nouveau, Agora, où on laisse les enfants jouer et décider de ce qu'ils veulent apprendre en fonction de ce qui les intéresse. Cela ressemble à d'autres modèles éducatifs basés sur la liberté des enfants, Montessori ou autres, mais cela a l'air encore plus radical : Rutger part de l'idée qu'autrefois (au temps de nos lointains ancêtres chasseurs-cuilleurs) les enfants apprenaient en jouant, sur le tas, les connaissances dont ils avaient besoin pour survivre dans leur monde.

Mais le monde a changé : un enfant doit de nos jours apprendre à lire et à écrire, même si ça ne le motive pas beaucoup... Il faudra donc à mes yeux toujours un minimum de coercition pour que les enfants acceptent l'effort et la discipline inhérents à l'apprentissage de la lecture et de l'écriture. Comment concilier cette discipline avec le souhait de respecter la liberté de l'enfant ? Je ne suis pas convaincue et si l'école a des résultats corrects c'est qu'elle a forcément mis de l'eau dans son vin ! J'aimerais en lire plus à ce sujet.

 

Enfin un des aspects qui m'a le plus gênée dans la démonstration de Rutger, c'est le chapître sur les prisons norvégiennes : des prisons modèles, à coup sûr 4 étoiles ! Cela est certainement plus humain, et plus efficace pour préparer les détenus à réinserer la vie normale un jour.

Mais d'abord il faut être un pays super riche comme la Norvège pour construire ce genre d'établissements je suppose, ce qui en limite la portée. Ensuite, une des raisons d'être des prisons est bien l'aspect punition : si les prisons deviennent tellement agréables, cet élément ne disparaît-il pas ? C'est peut-être mesquin comme réflexion, mais ça me gêne quand même.

 

Ces restrictions ne m'ont pas empêchée de savourer chaque page du livre : je regrettais qu'il s'achève, j'en redemande ! Bravo Rutger !!!

 



13/02/2020
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