Leurs Enfants après eux (Nicolas Matthieu) Goncourt 2018
C'est Lucy Brown, la voisine d'en bas de Louise, qui m'a conseillé ce livre la dernière fois que je l'ai vue, elle l'avait trouvé très bien malgré le langage utilisé (je partage son avis d'ailleurs).
Par curiosité je l'ai emprunté, il a gagné le Goncourt quand même. Et au début j'ai eu du mal à m'intéresser aux personnages : Anthony, Steph, Hacine et leurs parents (on voit assez peu les parents, sauf ceux d'Anthony). C'est un milieu que je connais mal : d'anciens prolétaires pour la plupart, peu de bagage intellectuel, dans une petite ville de l'est de la France désertée par ses hauts-fourneaux. A part le contexte de la "petite" ville, je ne pouvais me rattacher à rien dans la façon de vivre - et de s'exprimer ! - des personnages. C'est peut-être aussi dû à l'époque : les années 90, quatre étés successifs à deux ans d'intervalle, en 92, 94, 96 et 98. On voit ainsi Anthoney grandir : au début il a 14 ans, à la fin 20.
Et puis j'ai été happée par l'histoire. C'est extrêmement bien décrit, l'auteur parle d'une réalité qu'il connaît intimement. Si au début les dialogues sont insoutenables de vulgarité (on ne compte plus les "putains" et l'argot utilisé par les jeunes est omniprésent) par la suite l'auteur fait plus de descriptions, avec énormément de talent et souvent de poésie. On rentre peu à peu dans le quotidien très ordinaire de tous ces gens, d'une banalité à pleurer.
En fait, avec presque vingt ans d'avance, l'auteur décrit le monde des gilets jaunes : les déçus de la modernité, les laissés-pour-compte de la mondialisation. Je ne crois pas pourtant que son livre ait été écrit avant l'irruption du mouvement sur le devant de la scène politique et sociale, mais les ressemblances sont frappantes. On les plaint ces gens bien sûr, même si une part de leurs "malheurs" est aussi dûe à des mauvais choix, un manque d'ambition ou de discipline, un manque aussi d'intelligence il faut le reconnaître.
Nicolas Matthieu a clairement choisi son camp : le leur. Il n'est pas tendre avec eux, et ne les décrit certes pas de façon positive (parfois même ses observations très fines sont à la limite de la stigmatisation : quand il parle des femmes qui se font faire leur teinture plusieurs fois par mois, par une soeur ou une copine qui vient à domicile). Mais il n'est pas tendre non plus avec les autres, c'est-à-dire les nantis, ceux qui s'en sortent et gagnent bien leur vie. Et pas tendre du tout avec le "système" qui permet aux inégalités de s'accroître, tandis que l'école ne joue plus qu'un rôle de gare de triage pour la reproduction de ces inégalités...
Sa charge a quelque chose d'outré à mes yeux, Nicolas Matthieu a certainement un agenda de gauche. Mais on comprend son indignation : que de gâchis dans ces existences ! C'est la force de ce livre, qui n'est pas toujours facile à lire mais qui laisse une impression tenace de tristesse. Je le recommande.
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