"Vous ne connaissez rien de moi" (Julie Héraclès)
C'est l'histoire reconstituée par la romancière, de la femme sur la célèbre photo de Robert Cappa : la tondue de Chartres.
L'auteur a voulu imaginer quelle pouvait être la personnalité de cette femme, et l'itinéraire qui l'a conduite à faire ce qu'on lui a reproché : à juste titre d'ailleurs, car elle n'a jamais nié avoir fait de la "collaboration horizontale" et avoir eu un enfant de cette liaison.
C'est un travail de fiction, à partir des sources documentées. L'auteur ne prétend nullement que ce portrait de jeune femme corresponde à la vraie "tondue" de 1944 : elle s'est servie du personnage historique pour écrire ce qui aurait pu être l'histoire de cette femme. A nous d'être convaincus, ou pas.
En ce qui me concerne ça marche : le style très direct du roman fait qu'on est tout-de-suite plongé dans l'histoire et dans cette histoire particulière. Ce style est une des forces du livre à mon avis, et en fait un page turner.
La description du milieu familial est une réussite : tant de petitesse, de rancoeur accumulée, de besoin de revanche sociale m'ont, par moments, fait penser à Annie Ernaux qui décrit finalement la même France une dizaine d'années plus tard. Bien sûr il y a des "ficelles" pour expliquer ce désir de revanche : l'humiliation subie par la mère qui a perdu son commerce et méprise son mari, la liaison (inventée ?) de l'héroïne avec un garçon de la bougeoisie qui ne se conduit pas vraiment de très belle façon avec elle, ce qui amène tout naturellement à un récit d'avortement à faire dresser les cheveux sur la tête de réalisme.
On sympathise presque avec Simone, le nom de la jeune femme dans le roman : elle en a bavé, et elle aspire à une vie meilleure. Comme Scarlett O'Hara : les parallèles sont nombreux même si l'histloire est très différente. Et je comprends que c'est ce qui a pu gêner certains lecteurs bien-pensants : comment ose-t-on rendre une collabo sympapthique ?
Sympathique elle ne l'est pourtant pas complètement : elle est pour cela bien trop égoïste et occupée d'elle-même. La manière dont elle exploite sa soeur aînée, qui se laisse faire volontiers, est insupportable. Son manque de curiosité ou même d'intérêt pour la situation politique est un peu étonnant de la part d'une élève intelligente qui réussi brillament son "bachot" à une époque ai-je lu, où seules 5% des filles l'obtenaient... C'est même ce qui me gêne le plus dans cette histoire : Simone n'a pas vraiment de convictions politiques bien arrêtées au début de la guerre, la guerre gêne juste ses projets et elle est soulagée quand arrive l'armistice. Mais le reste est de l'aveuglement total : elle fait l'autruche, ne veut pas regarder la réalité en face.
Son amant allemand est un personnage presque trop beau pour être vrai, mais je suppose qu'il y en avait des Allemands qui n'étaient pas convaincus par Hitler, même au début. L'auteur a fait d'Otto un francophile parlant parfaitement le français : là encore il devait y en avoir... je ne sais pas si ce détail correspond à la réalité du personnage historique, toujours est-il que dans la vraie histoire il avait bien l'intention d'épouser Simone (qui ne s'appelait pas Simone) mais il est mort sur le front est.
En fait cette histoire est un mélodrame total !
J'ai appris en faisant une rapide recherche sur internet que la vraie "Simone" était morte à 44 ans : le plus triste est que sa fille n'a jamais assumé son origine, n'a jamais voulu avoir de contacts avec sa famille allemande, et n'en a même jamais parlé à ses enfants ce que je trouve difficile à croire !
Dans tous les cas, et quoi qu'on puisse penser de l'attitude ce cette femme pendant l'occupation (elle était née en 1921 et avait donc une vingtaine d'années pendant la guerre) la description au vitriol de ses bourreaux à la libération est à faire vomir : là l'auteur prend clairement parti, contre ces justiciers improvisés surtout soucieux de faire oublier leur propre inconduite passée, contre ces hommes et ces femmes bien-pensants qui n'ont pas bougé pendant la guerre mais se régalent de pouvoir humilier une moins chanceuse qu'eux, contre l'hypocrisie révoltante de cette épuration sauvage.
On l'a dit et écrit, mais sous la plume de Julie Héraclès cela devient insupportable. C'était ça aussi les Français à cette époque...
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