Rhode au jour le jour

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Poutine, les Russes et nous

Je suis effondrée de voir tout ce qui se passe actuellement, depuis plusieurs mois en fait. Il y a tant d'incompréhension des deux côtés, tant de fausses interprétations des réactions des uns et des autres !

Par exemple, j'aimerais pouvoir faire sentir aux Russes en général comme nous avons été heureux nous en Europe occidentale, au moment où l'Union Soviétique a disparu. Non pas d'un point de vue mesquin (on a gagné), mais plutôt comme si soudain une partie de l'humanité nous était rendue, toute proche et très semblable. L'ouverture des anciens pays de l'Est au tourisme occidental, la possibilité de visiter enfin ces villes qui nous étaient cachées depuis des décennies (Prague, Tallin, St Pétersbourg etc.), c'était un merveilleux cadeau et pas seulement pour nous : je me réjouissais alors en toute candeur pour le peuple russe qu'il puisse à nouveau, après 70 longues années, rejoindre la partie éclairée de l'humanité.

Et je pensais que nos destins se rapprocheraient, maintenant que l'idéologie ne se mettait plus en travers. C'était compter sans le nationalisme, ce sentiment ô combien dangereux qui a tant de fois mis le monde à feu et à sang. Surtout quand il est le fait de peuples qui ont (à tort ou à raison) le sentiment d'avoir une revanche à prendre.

Non nous n'avons aucunement l'intention d'encercler (comment serait-ce possible) la Russie, et certainement aucune intention de revenir sur les frontières de la guerre froide. En revanche, nous avons voulu accueillir les pays de l'ancien bloc de l'est certainement beaucoup trop rapidement. C'était un sentiment de vague mauvaise conscience qui nous a dicté cet élargiseement précipité que Moscou ne digère pas. Plus l'OTAN bien sûr : j'ai lu récemment que Kohl avait alors promis à Gorbatchev que l'Otan ne s'élargirait jamais aux anciens pays satellites de l'Urss. Si c'est exact, c'était une promesse impossible à tenir car comment empêcher ces pays redevenus "autonomes" de faire les choix qu'ils souhaitaient en matière de défense ? comment les Russes ne comprennent-ils pas qu'ils ont laissé, en tant que Soviétiques, de tellement mauvais souvenirs dans tous ces pays, que leur premier souci était de s'assurer une protection de l'autre bloc ?

 

Nous avons péché par optimisme, naïveté, et manque de courage comme toujours : il aurait fallu pouvoir dire à la Pologne et aux autres "non, pas maintenant, plus tard sans doute". Et il aurait surtout fallu éviter de polariser le débat au sein de l'Ukraine, en mettant ce pays en demeure de choisir entre la Russie et l'Europe. Bien sûr c'est Poutine qui les a mis devant ce choix, mais notre zèle à Kiev (et notre mauvaise foi, car vraiment, qui pense honnêtement que l'Ukraine a vocation à faire partie de l'Union un jour, même lointain ?) revenait à agiter un chiffon rouge devant les yeux de Moscou ! Plus nous soutenions l'opposition l'hiver dernier (à Maïdan), plus nous poussions les futurs rebelles séparatistes d'aujourd'hui dans les bras des Russes, où qu'ils n'ont pas manqué de se précipiter après l'annexion de la Crimée.

En vérité, nous avons facilité les choses pour Poutine. Et comme il n'est pas homme à se priver d'exploiter une faiblesse de l'adversaire, voilà où nous en sommes aujourd'hui, en quasi état de guerre par procuration à quelques centaines de kms de nos frontières. Cent ans exactement après le déclenchement de la 1ère Guerre Mondiale.

Ce qu'il faut maintenant c'est lui couper l'herbe sour le pied : lui ôter tous ses arguments de nationaliste revanchard. Non il n'y a pas de complot de la part de l'Occident pour isoler la Russie ou l'humilier. Comme si d'ailleurs l'Occident était un bloc monolithique parlant d'une seule voix ! rien que cette image est ridicule, tellement elle est éloignée de la réalité.

En premier lieu l'Amérique et l'Europe ont des intérêts différents, dont découlent des appréciations différentes de la situation internationale. En second lieu, même en ne parlant que de l'Europe, de notre Union à 28 pays (28 !), comment honnêtement croire que nous pouvons parler d'une seule voix, face à la Russie de Poutine qui n'est représentée que par un seul homme ?

Admettons haut et fort que nous sommes plus attachés à notre confort et à notre niveau de vie (que le reste du monde nous envie mais c'est une autre question), à nos contrats et à nos emplois. Nulle idéologie là-dedans. Parlons moins fort de nos valeurs, puisqu'elles indisposent le reste de la planète : tant pis pour eux (mais qu'on nous laisse les respecter chez nous). Et cessons de vouloir faire la morale au monde entier.

Ensuite, disons clairement par la voix du président de la Commission ou de son représentant pour l'extérieur que l'Ukraine n'a pas vocation à entrer dans l'Union mais à servir de lien entre l'Europe occidentale et la Russie. Ce serait un état-tampon dont il faudrait garantir la neutralité : après tout, la Finlande et l'Autriche ont également connu un statut de neutralité qui ne leur a pas si mal réussi durant la guerre froide. Puisque nous semblons en revenir à une situation de guerre froide...

Enfin, faisons remarquer aux Russes que chez nous les dirigeants politiques ont une durée de vie bien plus courte que chez eux, en raison du caractère démocratique de nos régimes. Ce qui du point de vue strictement stratégique dans une confrontation est une faiblesse et non un atout. Quand nos dirigeants n'ont d'autre souci que les prochaines élections, Poutine manipule sa constitution pour se faire accorder une 3ème mandat, et sans trop de risques de voir l'opposition l'emporter. A qui veut-il faire croire que les "méchants" sont du côté occidental ? nous sommes mous, il le sait, nous le savons. Arrêtons de faire semblant, et utilisons cette faiblesse pour qu'elle nous serve.

 

(article ébauché en 2014 mais jamais publié : à la relecture je le trouve pas si mal et je le poste)



23/09/2015
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