Rhode au jour le jour

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chute de l'empire romain ou pas ?

J'ai découvert en toute innocence qu'un débat faisait rage entre historiens spécialistes de l'époque : doit-on parler de la chute de Rome (et du déclin de l'empire qui l'a précédée) ou plutôt d'une transformation dans autre chose qu'on appelle "antiquité tardive" ? peut-on même parler des invasions barbares et pas plutôt de migrations de populations ?

 

Ce sont en apparence des sujets brûlants, et pas seulement en raison des analogies possibles avec notre monde d'aujourd'hui. Je précise tout-de-suite que même si cet aspect ne me laisse nullement indifférente, mon intérêt pour cette période historique (entre le IVème siècle et Charlemagne en gros) procède d'abord de la richesse foisonnante de cette période elle-même : rien n'était encore écrit, notre monde européen moderne était en devenir (voir d'ailleurs le très beau petit livre "l'Ecriture du monde" qui traite justement de cet aspect des choses), au début même de cette période il n'était pas dit qu'il deviendrait chrétien : c'est dire...

 

J'ai donc découvert, car c'est bien le mot, dans une critique de lecteur d'un autre livre que je venais de lire (lequel je ne sais déjà plus) qu'il existait deux petits livres écrits par deux spécialistes anglo-saxons de la période, et qu'il valait mieux lire les deux en parallèle ou à la suite, afin de pouvoir les opposer car ils défendent des points de vue opposés. Je les ai achetés : il s'agit de "The Fall of Rome" de Bryan Ward-Perkins et de "The World of late antiquity" de Peter Brown, ce dernier étant l'inventeur de cette notion d'antiquité tardive (son livre date déjà de 1971).

En effet le premier nommé défend le point de vue que je pensais "classique" et admis par tous : celui d'un lent déclin de l'empire romain d'occident pour de nombreuses raisons différentes (sur lesquelles on peut ou non s'accorder d'ailleurs) puis d'une dislocation plus que d'une chute car elle n'est pas survenue en un jour, suivie d'un effondrement des structures de l'état qui en a résulté en très peu de décennies et finalement une régression impressionnante en termes de niveau de vie et de connaissances en Europe occidentale, devenue une collection de royaumes barbares. Le processus étant accompagné de beaucoup de violences à l'encontre des populations romanisées concernées (en Gaule surtout, mais aussi en Italie en en Espagne). C'est la vision héritée de Gibbons "Decline and Fall of the Roman Empire".

 

Or non seulement j'ai appris que les historiens allemands ne parlent pas d'invasions barbares mais de mouvements de populations (volksverhuizingen en néerlandais), ce qui peut se comprendre car les "barbares" de l'époque étaient germaniques, mais encore que depuis les années 70 du siècle dernier une vision très différente a vu le jour : celle-ci défend plutôt la notion d'acculturatioin progressive des barbares à l'empire romain et ses moeurs, lequel empire se serait donc transformé sans vraiment disparaître, ce qui aurait donné naissance au phénomène d'antiquité "tardive" auquel il convient de rendre justice : l'image négative que nous avons des rois fainéants par exemple, et de ces "dark ages" en général, ne rendrait pas compte de la richesse culturelle dont cette époque témoigne.

 

Je suis bien prête à admettre que la mauvaise image de marque des Mérovingiens (la dynastie de Clovis) soit affaire de propagande soigneusement mise en place par les Carolingiens qui leur ont succédé : je trouve même cette idée plaisante.
Mais il me semble difficile de gommer l'effondrement d'un monde ou de nier sa disparition ! l'Europe des débuts du Moyen-Age (même si là encore la notion même de "Moyen-âge" est sujette à caution vue qu'elle a été inventée à la Renaissance) m'a toujours parue une période sombre dont nous avons peu de témoignages écrits, et encore moins de vestiges. L'art y a connu une phase d'oubli (sauf à Byzance bien évidemment, mais c'est la partie orientale de l'empire qui a eu une toute autre histoire), bref il me semble bien difficile de nier le "recul" par rapport à la civilisation sophistiquée qui avait précédé, quelque soit le mot que l'on choisisse pour qualifier cette phase : effondrement, chute ou disparition.
Qu'ensuite du neuf soit apparu sur les décombres, c'est logique. Mais disparition d'un monde il y a bien eu, à mes yeux naifs.

 

C'est pourtant ce que Peter Brown s'emploie à nuancer, voire corriger : je n'ai encore qu'effleuré son livre et ne peut donc pas en juger le contenu. Je ne suis pas vraiment convaincue par le style, que je trouve touffu. Et l'auteur manie plus les grandes idées que les événements, ce qui en rend la lecture plus ardue que celui de son collègue Ward-Perkins, qui a une approche plutôt concrète en se basant sur les fouilles archéologiques (de potteries notamment) pour démontrer une chute des échanges, donc de l'économie, donc du niveau de vie des populations.

 

Fascinant !



06/03/2021
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